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Youssou Ndour «Je suis un homme libre !»

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Artiste mondialement reconnu, entrepreneur ambitieux, ministre conseiller du Président… Le « boy Dakar » ne se reconnaît au fond que deux exigences : le Sénégal et sa famille ! Entretien exclusif.

Plus d’une trentaine d’albums, près de cinquante ans de carrière, le chanteur et musicien à la renommée internationale, toujours aussi passionné, présente son nouveau disque, History. S’il est souvent associé au mbalax, genre traditionnel du Sénégal qu’il a modernisé et popularisé avec son orchestre Le Super Étoile de Dakar, l’artiste ne s’est jamais enfermé dans un style. Sa musique s’est toujours enrichie des formes musicales de son pays, du continent, et même au-delà, devenant l’une des figures majeures de la « world music » par ses collaborations, notamment avec Peter Gabriel, ou Neneh Cherry et leur tube « Seven Seconds » (1994). En 2005, réalisé avec des musiciens égyptiens, son album Egypt, dédié à Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie musulmane mouride à laquelle il appartient, est couronné d’un Grammy Awards. Héritier de la caste des griots, cet artiste engagé pour des causes panafricaines tout au long de sa carrière est également un homme d’affaires, patron de presse, fondateur du groupe Futur Médias (radio, chaîne de télévision, le quotidien L’Observateur – plus grand tirage du pays), qu’il a installé dans son quartier d’enfance de la Médina à Dakar. Mû par une ambition politique pour « répondre aux attentes des Sénégalais » (il avait tenté de se présenter à l’élection présidentielle en 2012), ancien ministre de la Culture et du Tourisme, il est aujourd’hui ministre-conseiller du président Macky Sall. Rencontre avec une personnalité pour qui le pouvoir et l’intégrité artistique peuvent se concilier.

AM : Pourquoi avez-vous nommé votre nouvel album History ?
Youssou N’Dour : Parce que ce disque est composé de plusieurs histoires de vie. Celle de Babatunde Olatunji, percussionniste nigérian [né en 1927 et mort en 2003 aux États-Unis. Certains de ses morceaux ont été repris par Serge Gainsbourg, ndlr]. Il a laissé derrière lui des enregistrements inédits. Fan de ma musique, son neveu m’a demandé de terminer ses chansons, et j’ai donc chanté avec Baba virtuellement. Il y a aussi les histoires des artistes de la nouvelle génération : la chanteuse suédoise d’origine sénégalaise Seinabo Sey, avec qui je reprends « Birima », et le chanteur congo-suédois Mohombi sur « Hello ». Enfin, il y a la perte de mon fidèle compagnon, l’architecte de ma musique, le bassiste Habib Faye, avec qui j’ai composé énormément de morceaux, décédé l’an dernier.

Vous lui dédiez le premier titre…
Oui… La perte des êtres chers nous prépare et nous rappelle que la mort est un passage obligé pour tout le monde. On prie pour que cela vienne le plus tard possible. Quand cela arrive à un proche aussi essentiel à votre passion, cela vous interpelle. Croire en Dieu nous aide à comprendre ce rapport à la mort. Tout est écrit. Nous croyons à notre destin. Notre foi, notre religion est en nous, ses recommandations agissent et valent à chaque instant de notre vie, dans toutes  circonstances. Vous êtes l’un des artistes africains les plus célèbres du monde. À chaque nouvel album, parvenez-vous à vous libérer de ce que l’on attend de vous ? J’ai la chance de venir du Sénégal avec une musique populaire, presque traditionnelle, le mbalax, originaire du folklore, et que notre génération a modernisée, urbanisée. Et dès les années 1990, j’ai rencontré des artistes extraordinaires comme Peter Gabriel, Paul Simon, avec lesquels nous avons créé ce que l’on appelle la « world music ». Il faut comprendre que celle-ci ne vient pas forcément d’Afrique. Elle est la jonction de beaucoup de musiques : africaines, anglo-saxonnes, asiatiques… J’ai donc mené deux carrières, avec ces deux courants, que je vis et crée avec la même passion. Alors, quand je sors un album, je choisis s’il est local ou world. History est world, avec cette influence urbaine africaine.  La désignation « world music » n’est donc pas péjorative pour vous ? Non. Ce sont les médias de l’époque qui ont affirmé que la world music venait des pays sous-développés, pauvres, en catégorisant les artistes selon leur origine géographique. Je ne suis pas d’accord, ce genre concerne vraiment tout le monde. D’ailleurs, qui ne fait pas de world aujourd’hui ? Les popstars influentes viennent désormais de partout, on trouve des percussions traditionnelles dans le rock… Toute musique est devenue world. 

Vous invitez des jeunes artistes sur votre album. Êtes-vous sensible et attentif à ce que la jeunesse crée sur le continent ?Oui ! C’est pour cela qu’on les retrouve sur le disque. Tous incarnent cette musique urbaine africaine, que le Nigeria a particulièrement développée. Je leur conseille de ne pas s’inspirer des Américains, je n’ai rien contre eux, mais en Afrique on a des bases tellement riches : il faut qu’ils se servent de ce terreau, de ces racines ! Nous avons de grandes compositions, des valeurs, des éléments qu’ils peuvent réactualiser. C’est le cas ici : quand on entend « Birima », qui a plus de quinze ans, reprise par Seinabo Sey et sa voix extraordinaire, à sa demande en plus… Ça montre que les jeunes ont compris qu’ils disposent de greniers !  Votre vocation s’est imposée de manière précoce : dès l’âge de 13 ans, vous chantiez, déterminé à en faire votre métier. Comment l’expliquez-vous ?Je ne sais pas. Rien n’a été calculé, il n’y avait pas de projet, d’objectif. Mais c’est vrai que je viens d’une famille griotte, du côté de ma mère. Les griots sont des conteurs, des chanteurs. Il y avait un conflit, mon père voulait que je continue mes études car ni lui ni ma mère n’avaient eu cette opportunité. Mais j’avais cette passion de chanter. Et quand après, ça devient votre métier, you are a happy man ! Même si cet héritage ne suffit pas, il faut beaucoup travailler. Et j’ai fait des rencontres extraordinaires, vécu des expériences, j’ai voyagé un peu partout au niveau sonore. Cela a enrichi ma musique. Votre père voulait que vous travailliez dans un bureau. Aussi, lorsque vous avez loué un local pour votre orchestre Le Super Étoile de Dakar, vous l’avez invité dans ce bureau…Oui et je lui ai dit : « Voilà, Papa, j’ai un bureau ! » Il était content, rassuré que je prenne quand même ses conseils au sérieux. Je comprends sa position à l’époque, il avait peur. Vous savez, nous avons des valeurs, une religion, mes parents étaient très pieux. Ils ne voulaient pas qu’on tombe dans la drogue, etc. Et ça m’a servi. Dans le show-biz, quand certaines choses se présentaient à moi, je pensais à mon père. Cela m’a aidé à faire attention, à savoir ce que je ne voulais pas.  Aviez-vous le désir de faire carrière au-delà des frontières de votre pays, et même d’Afrique ?Non, je n’avais pas cette ambition. J’ai juste saisi les occasions quand elles se sont présentées. La première fois que je suis venu en France, en 1984, j’étais invité par l’Association des chauffeurs de taxis sénégalais à Paris. Avec mon orchestre, nous avons donné un concert à la mairie du 14e arrondissement. Je m’en souviens très bien ! Le lendemain, avec l’argent gagné, on a loué un studio d’enregistrement, et c’est là que j’ai enregistré mon premier album, Immigrés. Beaucoup d’artistes comme Jacques Higelin, Peter Gabriel l’ont écouté et adoré. Ils m’ont alors invité, j’ai découvert ce monde, jusqu’à ce que la world se crée autour de nous. Mais je n’avais rien programmé, je n’avais pas de plan de carrière. Et je n’ai jamais quitté le Sénégal. 

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